Cloé est d’une naïveté qui n’est égalée que par la cruauté d’Ange Ulrich, l’homme mystérieux avec qui elle a succombé à l’adultère. Triangle d’amour perfide à l’eau de rose ou profonde trahison au féminin, l’auteure offre bien plus. Dans ce roman aux paysages éclatants et aux personnages attachants, elle parle de péché mais aussi de cause à effet.

Abidjan, au sud de la Côte d’Ivoire. Dans cette mégapole africaine où l’histoire pose ses valises, Mlle Cloé Kouamé épouse M. Jean-pierre Assépo. Leur union, célébrée dans la tradition bourgeoise dont Cloé est issue, prend un tournant amer et inattendu la nuit où la jeune femme foule aux pieds ses vœux de fidélité. Pire, dans cette histoire, l’adultère de Cloé porte un fort parfum d’abomination, d’inceste pour être plus précis.
Si la jeune mariée ne le découvre que plus tard, ses efforts seront cependant conjugués vers un seul but. Dissimuler sa honte et son noir secret derrière un « mur » épais. Malice, mensonge et manipulation vont ainsi rythmer la vie du couple jusqu’à ce que le destin fasse preuve d’une cruauté aussi sourde qu’aveugle.
Publié en 2016 aux éditions Edilivre en France, « Le mur de la honte » est la première œuvre de la journaliste et sociologue ivoirienne, Charlène Danon. Dans cette romance cadencée, « les visages finement poudrés et les lèvres maquillées d’un rose bonbon » côtoient les « lits à baldaquin en bois d’ébène ». Mais au c��ur de ces décors colorés, le destin joue les donneurs de leçon. Les femmes aussi trichent, et tout comme les hommes, leur félonie n’est jamais sans conséquences.
Rythme cadencé, morale trop prononcée
11 pages déjà que je feuillette. Perdu dans les dialogues de préparatifs d’un mariage, je trouve le tempo trop lent. Les choses vont au ralenti et j’ai du mal à entrevoir le sens de toute cette histoire. Puis soudain, tout s’accélère, mais sans me prévenir. Sans me laisser le temps d’encaisser le choc du changement de vitesse. Ce qui a lentement commencé comme de banals préparatifs d’une cérémonie s’est finalement changé, en ironie malsaine du sort.
L’histoire se montre cruelle, l’auteure aussi. Cloé s’entête derrière son « mur » et s’enfonce. Certaines lignes de sa dégénérescence me sont insupportables. Je préfère détourner mes iris. Mais le périple continue. Le récit est truffé de nombreux rebondissements et la tension monte « encore et encore », pour emprunter l’expression suggestive de l’auteure.
72ème page, les amants se donnent rendez-vous pour un motif qui m’est inconnu, pour le moment. Bien qu’impatient de savoir s’ils mettront un terme à leur relation, je suis forcé d’arrêter ma course par ce que l’auteure marque un arrêt. Charlène Danon casse le rythme frénétique du roman et me contraint à contempler le jardin botanique de Bingerville, lieu de rendez-vous improvisé des amants.

« Un endroit magnifique qui abritait des plantes rares et aussi une diversité de fleurs qui conféraient à ce jardin un paysage paradisiaque » p.71-72
Dans cette histoire de trahison, « les choses ne se terminent pas bien », confie Charlène lors d’une interview. Ici, contrairement au scénario « Altiné…mon unique péché » de Anzata Ouattara, il n’est pas question de pardon. Et l’histoire souligne, de manière évidente, le lien étroit entre nos actions faméliques et leurs conséquences dramatiques.
Cependant, je lis ici et là des phrases aux senteurs moralisatrices trop prononcées. Cette romance aux airs de tragédie parle suffisamment de causes et d’effets pour que l’auteure en rajoute.
 « Ressentir pour un tiers une attention particulière ne pouvait parfois répondre à aucune logique, mais faire le choix d’être fidèle et de se montrer loyale, et demeurer ferme vis-à-vis des engagements pris, lui appartenait » p.171
Il y’a pas que les hommes qui trichent
Cloé se fait accoster dans un bar lors d’une virée nocturne par Ange Ulrich. L’homme est un mystère en lui même et un dragueur-né. Même si Charlène s’appesantit sur les traits fins et « la délicatesse de la peau » d’Ange Ulrich, son sujet principal est ailleurs. L’histoire gravite autour de la trahison de l’épouse.
Progressivement, je me sens plonger dans la tête de Cloé. Son air inébranlable et son assurance ne sont qu’une apparence. Derrière cette armure de façade, elle est aussi faillible que n’importe quel être humain. Face aux pulsions de son corps de femme, Cloé est comme hypnotisée, enivrée, et finit par succomber.
 « Cloé ne tenait plus : un autre homme que son mari, en moins d’une heure, était entrain de la tripoter dans tous les sens. Il l’excitait au point de lui faire perdre tous ses moyens » p.39
L’adultère chez la femme, est un point clé du roman. Charlène Danon l’aborde sous plusieurs angles. Les habitudes noctambules de Cloé, sa psyché de fille bourgeoise, la vie casanière de son époux, son attitude cachotière pour dissimuler son idylle, etc.
 « Ce n’était pas le genre de son épouse de se mettre à nu et de mettre un nom sur son ressenti le plus profond, et le plus inavouable. Cloé préférait se murer dans un silence tenace plutôt que de se libérer de ses chaînes » p.86
L’auteure révèle s’être particulière penché sur l’attitude de la femme adultère. Le but étant, entre autre, de comprendre les événements qui peuvent conduire à cette situation et aussi comment la concernée se sent.
« Qu’est ce qui fait qu’elle craque? Qu’est ce qui se passe dans sa tête? Comment la société se retourne contre elle? Est-ce qu’il y’a quelqu’un pour lui demander ce qui n’a pas marché? », sont autant de questions que Charlène avoue se poser.
Alors que j’achève la lecture du roman, je scrute la 4ème de couverture, l’air méditatif. Je me surprends à construire, dans mon esprit, la suite du récit. « Le mur de la honte » offre à ses lecteurs beaucoup plus qu’un scénario de trahison. Résumer ce roman aux seules aventures de Cloé l’épouse voluptueuse, c’est passer à côté d’une œuvre au style raffiné. C’est déprécier un récit palpitant où le destin enseigne aux hommes et aux femmes, le poids de leurs actes.

Categories: Littérature

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