Depuis que je vis à Ouagadougou, les événements culturels ne titillent plus autant mon enthousiasme. Mais cette année, la 10e édition des Récréâtrales, décliné sur le thème de « Tresser le courage » m’a incitée à un retour sur un mes hobbies préférés.
Par Hortense Atifufu
Recréatrices : Résidences panafricaines d’écriture, de création et de recherche théâtrales. Excitantes scènes de proximité, en plein air et chez l’habitant. Ma première participation remonte à 2014. Inoubliable. Cette année-là, le festival s’est conjugué avec la deuxième révolution burkinabè qui a mis en déroute le président Blaise Compaoré. Avant la furie dans la rue, la révolution était portée par anticipation sur la scène. Le spectacle de danse « Nuit blanche à Ouaga », du burkinabè Serge Aimé Coulibaly (représenté en 2014), était une belle illustration de la vive tension de la ville et des profondes transformations politiques qui surviendront plus tard.
Yasoma ! (c’est parfait ! en mooré)
Cette année, « Kirina », une nouvelle création de ce chorégraphe burkinabè m’a appâtée trois jours après l’ouverture du festival, une biennale se déroulant à Gounghin, un quartier à l’ouest de Ouagadougou. Vu les recommandations sur les réseaux sociaux, j’ai compris qu’il me fallait user de grands moyens pour suivre la 3e représentation de ce chef d’œuvre chorégraphique. Mon ticket ne m’assurait pas pourtant autant une place au spectacle. Je suis donc arrivée une heure plus tôt. Après les fouilles policières, l’admission avec ticket, l’espace de l’INAFAC (institut national de formation artistique et culturelle) aménagé avait atteint sa capacité d’environ 500 places. Certains spectateurs ont pris place sur des chaises, des bancs, d’autres étaient confortables à même le sol ! « Kirina » s’est nourrie de l’histoire africaine -la fameuse bataille entre Soundjata Keita et Soumaoro Kanté-, pour décrire que les illusions de prospérité des peuples, les lendemains qui chantent peuvent se révéler encore plus durs et féroces. Des corps en transe, crispés, endoloris, en lutte, tout ruisselant, en catharsis… Leur résistance a mené leur destinée vers une reconstruction, un renouvellement ! Un spectacle époustouflant accueilli par une standing ovation quand les lumières se sont éteintes !
Scènes aux graphies…
Pour atteindre « Unwanted », mon autre spectacle, il fallait juste trouver « Chez les Zida », la cour d’habitation d’une famille qui réside dans la rue 9. 32 dans laquelle se déroulent les Récréâtrales. Sur le chemin, j’ai pu admirer un morceau de la rue mis en scène : des luminaires multiformes, des personnages, des mots découpés et suspendus, des signalisations… Cette scénographie est animée par la vie normale du quartier : des morceaux de viande, qui cuisent sur des grilles, aiguisent l’appétit des clients ; des bières rafraîchissent des gorges asséchées ; un barbier finit une dernière coupe ; des causeries à haute voix se joignent à une musique urbaine produite par un gros baffle d’une boutique de vêtements…
Les crudités théâtrales…
C’est avec la promesse de revenir bien profiter de cette ambiance dynamique de la rue du festival que j’accède à la cour des Zida. Je trouve une place sur un banc. Durant « Unwanted » écrit, mis en scène et jouée par la rwandaise Dorothée Munyaneza, j’ai eu mal à me tenir sur ce morceau de bois ; pas à cause du ballet des moustiques ; ni parce que j’étais assise sur une fesse ; ou que je ne voyais pas bien le spectacle. Cette pièce est d’une violence qui ne pouvait me laisser indifférente ! L’entame en kinyarwanda me situa sur la souffrance des femmes violées, violentées pendant le génocide rwandais. Les meurtrissures du corps de l’actrice principale ; la virulence des mots ; la force de la sonorisation et l’obscurité dans lesquelles se jouait la plupart du spectacle ont suffi pour me déconcerter.
Pour me détendre les nerfs, le lendemain, je me suis offerte de l’humour gabonais avec « Quand j’étais laid » de Omar Defunzu. Un one man show décapant la politique et la société : les élections sont comme une constipation en Afrique ; la sympathie des Africains pour le visa Schengen qui renforce leur détermination ; le choc des cultures dans un mariage mixte en Afrique… Impossible d’oublier la sulfureuse pièce « Que ta volonté soit Kin », texte du congolais Sinzo Aanza et mis en scène par le burkinabè Aristide Tarnagda, qui a rejoué dans mon esprit le morceau « Biloko Ya Boye » de Alesh, rappeur kinois.
Le festival est dans ses derniers jours. Nous, festivaliers, nous rattrapons tous les spectacles ratés.