Crédit photo : Mireille Tchonté
Quand on parle d’immigration, on évoque souvent les difficultés auxquelles sont confrontés ceux qui partent. Les risques de la traversée, le mépris à l’arrivée, la lutte pour survivre… Mais on oublie parfois ceux qui restent. Surtout, celles qui patientent. Arame, Bougna, Coumba et Daba font partie de celles-là. Sur l’ile de Niodior, ces femmes attendent qui un fils, qui un époux. La misère est constante dans ce village de pêcheurs. Pour réussir, nombreux sont ceux qui pensent qu’il faut partir de l’autre côté de l’Atlantique. Arame et Bougna après avoir poussé leurs fils Lamine et Issa à s’en aller, regrettent. Coumba et Daba épouses d’absents sont censées demeurer fidèles dans une case vide. Au village chacun a son cadavre au placard mais s’empresse de montrer celui de l’autre du doigt. Entre commérages, départs, scandales et espoir, la vie à Niodior n’est pas un fleuve tranquille.
Fatou Diome est connue pour son franc-parler et sa critique de tout ce qui favorise le climat de l’immigration clandestine. Les politiques, la famille et les anciens émigrés eux-mêmes. Elle accuse le silence de ceux qui partent et reviennent sans dire la vérité sur leur vie là-bas. Elle critique ceux qui laissent des hommes se noyer tantôt dans la misère, tantôt dans l’océan parce qu’ils n’ont pas le bon passeport. Elle indexe ces familles et ces communautés qui sans le savoir, chargent les leurs d’un poids trop lourd à porter.
Je me pose beaucoup de questions actuellement sur l’immigration. Est-ce que ceux qui vont sont suffisamment informés des dangers auxquels ils s’exposent ? Comme si elle avait lu dans mes pensées, Diome y répond vers la fin du roman. « Non, les jeunes n’ignoraient rien de ces périls, ils bravaient l’océan avec la claire conscience de ceux qui pariaient leur propre vie et trouvaient des phrases imparables pour bâillonner ceux qui tentaient de les retenir. »
Dans Celles qui attendent, Fatou Diome parle du courage des femmes qui se battent sans se plaindre. Des femmes qui attendent un époux sans savoir s’il se décidera à revenir. Leurs rivales, ce ne sont pas les femmes blanches dont leurs époux s’entichent pour survivre. Leur rivale, c’est l’Europe avec ses billets et ses illusions. Au début elles se réjouissent d’être épouse ou mère d’un émigré. Puis elles se rendent compte qu’il vaut mieux avoir un pêcheur auprès de soi qu’un futur riche dont le retour est incertain.
J’avais quelques fois du mal à me concentrer. Je ne suis pas une grande fan des descriptions et quelques fois je trouvais le style lourd. Ça pourrait décourager des amateurs de lecture hyper facile. Mais si le sujet vous intéresse réellement, Celles qui attendent vous réjouira. La fin du livre est pleine d’émotions et de suspense. Fatou Diome attise notre curiosité. Est-ce que Lamine et Issa reviendront un jour ? Comment reviendront-ils ? Qu’est-ce qui se passera au moment de régler certaines affaires peu plaisantes ? On découvre des secrets de famille et le pouvoir du pardon.
« La terre saigne depuis la nuit des temps. De grandes misères et de guerre souvent. Et pour chaque soldat qui rentre, une femme attend. » Celles qui attendent me fait penser à la chanson de Corneille, Le bon Dieu est une femme. Arame et les femmes qui vivent le même drame sont des mères et épouses dévouées. On néglige parfois leur rôle mais ce sont elles les piliers de la famille. C’est grâce à leur courage et leur amour que les hommes peuvent partir et être sûrs de retrouver quelqu’un qui les attend. Mais savent-ils la peine de celles qui patientent ? Savent-il que « ceux qui nous font languir nous assassinent ? »
J’ai aimé lire Celles qui attendent et j’espère qu’il en sera de même pour vous.