CULTURICHE prend part à la deuxième édition d’AKAA, première foire d’art contemporain et de design en France, centrée sur l’Afrique. Nous avons rencontré Joana Choumali, photographe ivoirienne, exposée à travers le monde, qui s’est faite remarquer avec des séries comme Hââbrê, Awoulaba/taille fine ou encore Résilientes, des oeuvres qui se situent entre documentaire et art.
Dans cette interview, l’artiste nous livre sa vision de la photographie, sa démarche avec sa nouvelle série « ça va aller… », et son observation sur la culture et photographie en Côte d’Ivoire.

Par Anne-Carole DACOURY-TABLEY 

“Je suis inspirée par les grands photographes de studio qu’on connait tous : Seydou Keïta et Malick Sidibé. “

Vous étiez directrice artistique au sein de l’agence de publicité McCann Erickson à Abidjan. Pourquoi avoir voulu, suite à cela, vous consacrer pleinement à la photographie ?

C’est venu d’un appel intérieur. J’étais déjà contente de travailler dans ce métier créatif qu’est la direction artistique. Cependant, j’étais encore contrainte par l’aspect commercial du métier. J’avais juste envie d’explorer autre chose, de m’exprimer sur ce qui m’entoure. J’éprouvais le besoin d’aller plus en profondeur dans la création.

Quelles sont vos inspirations artistiques ?

Je suis inspirée par les grands photographes de studio qu’on connait tous : Seydou Keïta et Malick Sidibé. Leur esthétique m’a beaucoup nourri car elle était très similaire aux photos de mes grands-mères donc je pense que c’est quelque chose qui a influencé mon regard en tant que photographe. Mais j’ai plutôt tendance à ne pas me référer à quoique ce soit. Je laisse juste mon instinct me guider.

“Les photos ont été réalisées avec mon Iphone, trois semaines après l’attaque terroriste. J’ai choisi le téléphone au lieu de l’appareil pro afin de capturer discrètement les gens. Leur attitude est naturelle car ils ignorent qu’ils sont photographiés. Broder ensuite ces photos m’a pris un mois…”

Que cherchez-vous à raconter à travers vos œuvres photographiques ?

Je n’ai pas de message particulier. Je m’inspire de l’actualité, de ce qui me touche, de questions personnelles, de questionnements. A travers mon travail, j’entame une discussion entre ce que je crois comprendre de ce qui m’entoure et les cultures africaines. Le rapport entre le passé et le présent est une thématique importante dans mes séries. J’essaie de comprendre ma culture et de voir comment elle interagit avec les autres cultures.

Vous considérez-vous comme une photojournaliste ?  

Oui absolument. Il m’arrive souvent de faire du photojournalisme puisque j’investigue sur le sujet qui m’intéresse avant de le photographier. J’aime être sur le terrain, être en rapport avec les personnes concernées par mon sujet, et ensuite faire une réinterprétions de ce que j’ai ressenti à travers les échanges sur le terrain.

« Ça va aller… » découle d’un ressenti personnel.

La série que vous exposez aujourd’hui à AKAA est « Ca va aller », qui a été faite suite à l’attentat de Grand-Bassam en mars 2016. Pouvez-vous nous la présenter et nous expliquer le processus de création de ces oeuvres ?

« Ça va aller… » découle d’un ressenti personnel. Lorsque j’ai appris la nouvelle de l’attentat à Grand-Bassam, j’étais au Maroc. Je suis rentrée à Abidjan une semaine plus tard, et a eu lieu l’attentat à Bruxelles. J’ai vu la différence entre le traitement des deux attentats et me suis demandée pourquoi la douleur qu’il y avait dans mon pays n’était pas aussi bien documentée que celles d’autres continents.
Je me demandais comment les personnes qui étaient à Grand-Bassam faisaient pour guérir, comment elles pouvaient arriver à se relever après un tel événement. Je suis donc allée à Bassam faire des photos de la ville. Je les ai faites avec iPhone comme je l’aurais fait sur Instagram.

“J’ai ressenti le besoin de me connecter avec ces personnes qui ne savaient pas que je les photographiais et pourtant de qui je me sentais vraiment proche. J’ai donc imprimé les photos sur de la toile et ai commencé à broder là-dessus.”

Quand je suis rentrée chez moi pour regarder les photos, je me suis rendue compte qu’elles étaient toutes similaires : des photos de personnes seules ou debout, au bord de la route, marchant la tête baissée. J’ai senti une grande mélancolie dans cette ville que je connais et aime tellement. Grand-Bassam était complètement différent et je l’ai ressenti dans les photographies. J’ai ressenti le besoin de me connecter avec ces personnes qui ne savaient pas que je les photographiais et pourtant de qui je me sentais vraiment proche. J’ai donc imprimé les photos sur de la toile et ai commencé à broder là-dessus. En ce moment-là, j’avais des problèmes de santé qui m’empêchaient de sortir et de travailler. J’ai donc eu beaucoup de temps pour rajouter ces petites broderies qui étaient finalement un acte méditatif qui m’a permis de me vider la tête et de pouvoir transformer cette douleur en quelque chose de beau et positif. Ce qui nous sauve, nous les artistes, est de pouvoir transposer ce qui nous choque dans une œuvre.

Pourquoi avoir fait ce choix du téléphone portable ?  

Je voulais quelque chose de secret. Avec le téléphone c’est quelque chose d’instantanée et immédiat qui tranche avec le nombre de temps que la broderie prend à élaborer. J’aimais le contraste entre la rapidité d’une prise de photo avec un téléphone mobile, et le fait d’y déposer toute son âme et son temps en brodant. C’est une expérience qui m’a beaucoup nourrie.

“J’aimais le contraste entre la rapidité d’une prise de photo avec un téléphone mobile, et le fait d’y déposer toute son âme et son temps en brodant.”

Quelle est la différence, dans le processus de création, entre une série comme « Hââbrê » et une série comme « ça va aller…» ?

« Hââbrê » était un travail de recherche, pour répondre à une question que je me posais : Qu’est-ce que cela fait d’être africain aujourd’hui avec des scarifications ? C’était un projet où je prenais le témoignage des personnes. A contrario, « ça va aller » est un projet intime. Au départ, je n’avais aucune intention de le montrer puisque je le faisais pour contenir une énergie que je n’arrivais pas à exprimer avec des mots.

Notre média se nomme CULTURICHE. Pour vous, qu’est-ce qui fait la richesse de notre culture ?

C’est sa pluralité. Rien qu’en Côte d’Ivoire, nous avons plus de 70 dialectes et ce sont des communautés qui interagissent les unes avec les autres d’une façon tellement formidable contrairement à tout ce qu’on veut nous faire croire. Nous sommes curieux et ouverts.

Au-delà de la Côte d’Ivoire, je dirais qu’on n’a pas une culture mais des cultures qui sont tellement formidables et contradictoires à la fois. C’est ce qui fait notre richesse et notre force.

“A contrario, « ça va aller » est un projet intime. Au départ, je n’avais aucune intention de le montrer…”

Quel est l’avenir de la photographie en Côte d’Ivoire, selon vous ?

J’espère que la photographie contemporaine en Côte d’Ivoire va se développer encore plus.
Il y’a déjà énormément de photographes actuels qui sont reconnus à l’international comme Ananias Leki Dago, Hien Macline ou encore Luc Gnago. Je vois qu’il y’a une relève qui est en train de naître et que je vois grandir avec grand plaisir. Cette nouvelle vague de photographes ivoiriens a un bel avenir devant elle. Dadi et Kamder ont beaucoup de poésie dans leurs photographies et sont très fins dans leur composition avec le choix des couleurs et de la lumière.

Ces nouveaux photographes ne sont malheureusement pas assez mis en avant donc on y travaille avec d’autres amis photographes qui ont une initiative de conseils et d’aides. Plus nombreux on sera dans ce domaine en Côte d’Ivoire, plus on réussira à avoir un impact et à transformer les choses à travers l’art.
Je mets beaucoup d’espoir et d’énergie à conseiller les jeunes femmes ivoiriennes et leur dire que ce n’est pas un métier d’homme, c’est un métier tout simplement. Je souhaite sincèrement qu’il y ait plus de femmes photographes en Côte d’Ivoire.

Quels sont vos projets à venir ?

J’expose en ce moment à Amsterdam et à Londres à partir du 17 novembre ; Ensuite, je participerai au Lagos Photo Festival du 24 novembre au 15 décembre et à la biennale de Bamako à partir du 2 décembre.  Je suis en train de travailler sur une nouvelle série.

 

 

 

Categories: Arts visuels

2 Comments

Joana Choumali : Son virage artistique à AKAA

  1. je suis un jeune photographe ivoirien passionné de la photographie alors en lisant les parcours et œuvres artistique de notre joana choumali qui fait la fierté de la photographie cela me donne plus de courage d’aller de lavant parcequ’en realité certains negligent enorment le corps de la photographie et cela me fera plaisir un jour de rencontrer notre choumali

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *