L’Abissa est une fête de réjouissance célébrée tous les ans par le peuple N’zima. Elle a lieu dans le dernier trimestre de l’année. L’objectif de ce rendez-vous régulier est de faire un bilan au sein de la communauté. En effet l’Abissa est le lieu pour la critique sociale. Les barrières hiérarchiques sont quelque peu levées le temps de deux semaines afin de permettre à la population d’exposer ses requêtes, ses plaintes, ses confessions, devant le Roi. Pendant cette période toutes les frustrations sont évacuées, l’année est purgée de toutes ces mauvaises ondes pour annoncer du mieux pour l’année suivante. C’est aussi l’excuse parfaite pour se lâcher…
Par Orphelie Thalmas
Initialement donc, l’Abissa est la fête d’une communauté bien définie qui dans la joie, se retrouve pour se reconstruire. Tout se déroule dans la ville historique de Bassam à moins d’une heure d’Abidjan, la capitale économique de la Côte d’Ivoire. Cependant, avec le temps, la fête a pris en notoriété et a fini par attirer les touristes. Rien d’étonnant vu l’originalité et l’authenticité des festivités ! Si la première semaine est plutôt discrète, étant davantage réservée aux initiés, la deuxième semaine est populaire et intense.
La seconde semaine, se caractérise par le déroulement de l’Abissa sur la place publique au quartier France de Grand-Bassam. Au cours de cette semaine, l’Abissa se résume par des déguisements, la mise en exergue des symboles de chacune de sept ( 7) familles, des processions, la ronde tout autour de l’estrade des instruments de musique, la danse face aux tribunes des spectateurs et autorités, l’observation des messages verbaux et l’écoute attentive des chants critiques. Chaque jour est consacrée à une composante de la population N’Zima.* Et cette semaine qui attire du monde. Au fil des années, l’Abissa s’est imposé comme LE rendez-vous de l’année. Aucun complexe, pas de tabou, les hommes se déguise en femmes et vice-versa. On rivalise de créativité dans les déguisements, la place publique refuse du monde qui insiste et danse comme il ne l’aurait jamais fait en temps normal.
Moi je suis arrivée le mardi 1er novembre saisissant l’occasion d’un férié.
Après avoir traversé un embouteillage monstre pour arriver au quartier France, nous avons récupéré nos accréditions avant de rejoindre la place publique où le Roi et sa Cour s’installent pour recevoir les danseurs. Je dis nous pour Jean Yves et moi. Jean Yves est le collègue avec qui nous faisons les vidéos ICI C’EST BABI. Un jour peut-être, je vous relaterai dans quelles conditions nous arrivons à enregistrer et monter ces vidéos. Assurément, on en rira.
Alors il nous a encore fallu traverser un énième embouteillage – cette fois d’hommes – pour avoir une bonne position au moment des danses. Moi pieds en tailleur assise à même le sol, j’échange avec les doyens présents histoire d’en savoir davantage sur le programme du jour, pendant que Jean Yves filme. Il n’y a quasiment pas de pause. Les familles passent, tour à tour, pour exécuter des pas acclamés par la foule. La poussière a envahi la place et tout le monde s’en fout. En fait c’est normal. Nous prenons la route pour Abidjan autour de 19H après avoir marché sur un petit kilomètre pour atteindre la gare de Gbaka* au rond point de Bassam. Mais un jour ne suffirait pas à capter l’essence de l’Abissa, sa richesse. Alors nous sommes revenus le week-end.
C’est le samedi que “Ça chauffe” le plus. Tout Abidjan se déporte sur Bassam. Ce qui s’y passe a des airs de Spring break. Des maquis sont installés sur les plages et en bordure de lagune. Entre la place publique et ces autres aires de fête “opportunistes”, on ne peut pas choisir, alors on fait des vas et viens. Et sur ces trajets, on goutte le Tchakass, liqueur traditionnelle de couleur rose et particulièrement forte, on se fait maquiller à 100 Francs CFA, on visite les bâtiments historiques du quartier, on achète de l’abolo pour faire plaisir à une vendeuse – cantatrice – prêtresse. Des amies sont venues de Bassam et l’adage “Plus on est de fous, plus on s’amuse” prend tout son sens.
Bassam est tellement animé qu’on ne s’imaginerait jamais que quelques mois en arrière une attaque terrorise l’avait plongé dans la terreur. Il y a des touristes européens, asiatiques, américains et africains. Les forces de l’ordre sont aussi là, à tous les cent mètres, et c’est rassurant. Et puis avec tout ce qui se passe dans la rue, on n’a pas vraiment le temps de penser à un désastre. J’ai croisé un type habillé en robe de mariée marcher d’un pas déterminé, d’un pas qui laisse deviner l’histoire qu’il relate : Une fiancée abandonnée devant le maire à la recherche de son futur époux. il y a aussi cet autre type qui faisait la femme enceinte trompée et déçue. On rigole beaucoup, on court autant.
A 18H je retourne à Mockeyville (chez la famille à Bassam) pour me débarbouiller, manger un peu, puis retourner au quartier France à 21H30. Je comprends alors que tout se passe vraiment dans dans la nuit. Le monde a triplé en nombre, avec lui l’adrénaline. Sur la route gît un corps saoul entouré par des amis aussi solidaires que moqueurs. Les commerces de grillades longent la rue principale qui mène à la lagune. De très loin on peut entendre la musique tourner à fond. Les esprits s’échauffent parfois, mais l’ambiance prend le dessus et on se remet à danser. Je regrette un peu que mes deux copines soient rentrées à Abidjan. Mais Ngadi a eu le temps de faire de beaux clichés en journée.
Dans tout ce brouhaha, il nous est même arrivé de nous perdre de vue pendant trente minutes. C’est un truc de fou ! Mais c’est si beau… Ces gens qui s’amusent, qui se débarrassent de leurs carapaces, et se mélangent. J’y retournerai certainement.
Pour illustrer tout ce que je vous raconte vous avez cette fameuse vidéo pour laquelle j’y étais et les clichés de Ngadi Smart, une des amies venues découvrir la fête.